Une nouvelle victoire pour Babylon au Shogi. La vérité était qu’elle connaissait déjà son adversaire. Il était du genre beaucoup trop tendu, et il sautait sur la moindre erreur qu’elle faisait, même si celle-ci était totalement prévue.

Elle s’en était amusée, d’ailleurs. Elle avait fait mine d’être en difficulté, de perdre une pièce, deux pièces, trois pièces, et d’un coup, elle en est sortie victorieuse. Ses erreurs avaient forcé le déplacement de pions cruciaux pour la défense. Elle avait dégarni ses flancs pour mieux lancer une attaque frontale.

Elle avait encouragé l’adversaire à mettre son roi en danger, et d’un coup, elle avait fait descendre son général. Mais elle n’aimait pas le Shogi en ligne. Il manquait le plateau, le bruit des pièces, les regards, les échanges de politesse… Et bien sûr, le mouvement illégal.

Mais trouver quelqu’un qui savait respecter les règles traditionnelles du Shogi et possédait un jeu à Karakura n’était pas une chose facile, et il n’y avait pas assez de tournois, et trop distants les uns des autres pour qu’elle soit vraiment satisfaite.

Du coup, elle enfilait une tenue, un peu au hasard, qui dénudait son dos. Elle avait appris à ne pas trop se cacher, mais ne pas trop non plus en montrer. Son tatouage avait le désavantage d’être très caractéristique, au point que quiconque connaissant un peu la culture Yakuza pouvait très facilement le méprendre pour un vrai – ce qui n’était pas loin de la réalité.

Elle se baladait un peu dans un quartier assez délaissé, très résidentiel, pour pouvoir fumer en paix. Elle en venait presque à espérer que des Yakuza viennent s’installer dans le coin, pour pouvoir jouer un peu d’argent au Shogi, se faire un petit pécule. Elle n’allait pas non plus demander plus à ses parents, déjà que ses études coûtaient cher.

 — Salut toi.

Elle s’approchait du petit chat qui traînait toujours dans le coin. Il appartenait à un couple qui passait son temps à s’engueuler, et à chaque fois, le petit animal partait faire son tour. Les chats sont vraiment malins.
Du coup, quand le chat choisit de détaler visiblement sans raison, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche. A vrai dire, l’atmosphère entière s’est refroidie. Cependant, ce n’est pas quelque chose qui inquiète Babylon, et ses mains moites venaient plus d’une certaine certaine excitation à l’idée qu’il puisse enfin se passer un truc intéressant plus qu’une véritable peur.
Mais un gros bruit la fit se retourner, et elle en restait bouche bée.

Une créature d’au moins trois mètre de haut, qui avait l’air de s’être allongé et qui la regardait fixement. Bien sûr, elle soutenait son regard, par défiance et car ça faisait déjà un moment qu’elle avait appris à trouver la peur agréable. La créature était lente mais s’approchait d’elle, croyant probablement qu’elle ne l’avait pas remarquée. Après tout, pourquoi devrait-il penser autrement ? N’importe quel humain normalement composé se serait enfui en courant et en criant, s’il l’avait vu. C’est au moment où il essaya de la griffer, assez rapidement, qu’elle bondit en arrière, remerciant le rythme de vie qui lui avait été imposé par ses études.

— Tu peux… Me voir ? Aucune importance, j’ai faim… Faim faim et toujours faim…

Elle aurait bien voulu faire une blague, mais elle n’arrivait pas à parler. Son coeur battait à 100 à l’heure, et que ce soit de folie, d’excitation, de peur ou d’un peu des trois ne changeait rien au fait qu’elle n’arrivait même pas à former une phrase cohérente à ce niveau. Elle se contentait d’avoir une expression qui ressemblait à un sourire confus. Elle ne savait pas ce que c’était, mais elle avait compris quelque chose – elle était en train de frôler la mort, et c’était quelque chose d’excitant.

Le monstre réessayait plusieurs fois des attaques discrètes, pour s’assurer que sa cible était capable de la voir. Elle ne savait pas pourquoi, mais il était vraiment prudent. Peut-être y avait-il une créature encore plus terrifiante dans les environs ?

Un homme qui ressemblait à un Yakuza et qui portait une épée à deux mains, attaquant une espèce d’énorme monstre noir avec un masque blanc… Elle aurait presque juré avoir joué à des jeux vidéos qui avaient un scénario semblable.
Au moins, la surprise était passée, et Babylon réussit enfin à avoir la réaction qui semblait le plus naturel pour elle – rire. C’était sa manière de relâcher la pression, un petit rire, assez naturel face à tout l’absurde de la situation.
Elle n’était pas une combattante, elle n’avait reçu que les bases pour tenir une arme, mais elle n’était pas prête pour autant  s’enfuir. Elle fit juste un pas en arrière, pour éviter d’être pris dans le feu croisé, avant de parler nonchalamment à la personne qui se battait.

— Pour un monstre, il est pas très très dangereux. Il est un peu pataud comme machin, puis le masque blanc comme ça, c’est pas non plus ce qui fait le plus peur. Non, ça me fait penser à… Un masque de théâtre, un peu, ou le truc que tu trouverais dans un musée.

Elle devait bien avouer que ni le Hollow, ni le Fullbringer ne la surprenaient vraiment, pour une raison qu’elle ignorait. Certainement que le choc initial était passé et qu’elle n’avait jamais été du genre à chercher à comprendre les choses, ayant un regard beaucoup plus passif lui permettant de supporter un grand nombre de choses sans vraiment broncher. Même s’il restait encore un détail important à régler, pour elle.

— Vaut mieux essayer d’éviter les destruction gratuites, par contre, sinon on risque d’attirer pas mal d’attention, et on doit pas mal passer pour des abrutis actuellement.

Il était bavard, le bougre. Et puis, la manière dont il avait envoyé le monstre balader, enfin, le « Hollow » comme il l’appelait (un nom qui leur venait certainement de leur air de monstre dessiné par un enfant de 5 ans), il avait vraiment un côté « protagoniste ».

Une chose à la fois, je comprends que d’alle à ce que tu dis ! lâchait-elle en souriant. Je suis juste une fille normale qui voit des choses pas normales du tout. Et sinon, tu peux m’appeler Babylon.

Elle s’incline rapidement, dans un geste presque mécanique. Chris Reynolds… C’est un nom de famille qui est d’origine américaine, sans aucun doute. Ce savoir lui venait des fabulations de son grand-père qui avait, si elle en croyait ses histoires, connu tous les hommes célèbres du monde.

Mais ouais, du coup, c’est pas la première fois que je vois ces machins… C’est quoi en fait ? Est-ce que je vois des gens qui sont morts ?

Fullbringer, Hollow et Shinigami, compris. Même si on dirait un peu le scénario d’une série un peu nulle. Elle était pas bien loin avec son idée des esprits frappeurs, mais ce qui la gênait vraiment, c’était qu’elle s’était faite entraîner là dedans.

— Rien du tout. Enfin, j’ai pas vraiment d’objet qui me tienne tant à coeur que ça, quoi. Le seul truc que je peux voir qui remplit ces deux critères, elle se retournait pour soulever l’arrière de son haut jusqu’au milieu du dos, c’est ce tatouage. elle remettait ensuite son haut en place avant de faire face de nouveau à l’étranger Mais du coup, je comprends pas bien ce machin. Tu peux manipuler l’âme des objets ? Alors ton chapeau… C’est un portail transdimensionnel que tu as transformé en chapeau, ou y’a juste un très, très gros double fond et t'y fourres ce que tu veux ?

C’était assez compliqué à avaler, ce coup d’âme des objets. Surtout pour quelqu’un qui avait eu le droit à une éducation un tant soit peu scientifique. Actuellement, elle venait juste d’assister à de la création de matière, ou au moins de la téléportation, et c’était quelque chose d’assez… Agréable, en fin de compte, l’opportunité de faire face à de nouveaux défis, toute une myriade d’épreuves et de découvertes qui se trouvaient devant elle.

— Et sinon, tu pourrais pas me donner un coup de main pour m’aider à décoller ? Je m’amuserais bien à tâtonner pendant des heures à l’aveuglette, mais entre les exams qui approchent et mon internat à l’hosto, je préfère pouvoir m’entraîner avec quelqu’un qui sait ce qu’il fait.

Babylon remettait rapidement son haut en place après avoir montré son dos au prestidigitateur. Il lui faudrait se concentrer sur son tatouage et se remémorer d’un peu tous. Mais elle ne le ferait pas ici, ni maintenant. S’il lui fallait une introspection, elle n’accepterait de le faire que chez elle, bien loin des yeux de qui que ce soit, car elle refusait de laisser quiconque la voir dans un moment de faiblesse.

— Alors s’il faut que je fasse un travail sur moi et que je commence à méditer ou je sais pas quel autre connerie, j’ai pas vraiment le temps.

Ce mensonge lui laissait un goût amer dans la bouche. Elle avait l’impression d’avoir un peu manqué de respect à son interlocuteur – elle en était certaine, à vrai dire – mais surtout, elle sentait qu’elle avait apporté une raison qui ne lui rendait pas justice

— Et puis, ce tatouage… Ce tatouage a une histoire. Donc ouais, je préfère faire ça de mon côté, au moins au début. Autre chose que j’aurais besoin de savoir, comme un régime d’entraînement, ou un art martial que je devrais apprendre ?

La vérité était qu’elle s’attendait plus à quelque chose de physique, comme un entraînement particulier, qui la pousserait aux limites de son corps, ou un rituel étrange, comme elle en voyait des centaines et qui la faisaient bien rire. Le surnaturel était un monde qu’elle ne connaissait que trop, mais sa réalité lui échappait beaucoup. Elle avait certainement entendu des informations à ce sujet, mais impossible de faire la différence entre infos et intox de là d’où elle vient.

Des questions ? Il faudrait du temps à la curiosité de la jeune potentielle fullbringer pour se réveiller, et de toute façon, il lui fallait déjà pouvoir digérer les informations qu’elle venait d’apprendre. Ce qui était assez complexe pour une femme de science qui devait d’un seul coup comprendre qu’il existait tout un monde à l’extérieur de ce qu’elle avait appris pendant plusieurs années

— Dans l’immédiat, non. Par contre, si j’en ai qui survienne d’un seul coup, ou si j’arrive miraculeusement à sortir quelque chose, je te passe un coup de fil.

En disant ça, elle sortait de sa poche une carte de visite, au dos de laquelle elle écrivait rapidement son numéro, avec un crayon sorti de sa poche, avec son minuscule carnet qu’elle utilisait pour noter certains détails. Après avoir fini ça, elle tendait la carte de visite pour l’hôpital tenu par ses parents, qui lui servait de résidence, entre son index et son majeur à Chris.

— Et si t’as un problème de santé ou que tu te fais blesser par un de ces machins, hésite pas à venir nous voir, la devise de la maison c’est « on ne pose pas de question ». Enfin, si tu précises que c’est moi qui t’envoies.

De toute façon, s’il disait qu’il était envoyé par elle, ses parents comprendraient que c’est quelqu’un en qui elle a au moins un peu confiance, même si le sentiment qui était dirigé vers lui en ce moment était surtout une forme d’endettement.