L'entraînement était un concept difficilement fiable au Hueco Mundo. D'ordinaire les combats étaient meurtriers, et à juste titre. Rien, absolument rien, ne justifiait le fait qu'un adversaire plus faible que soi avait le droit de vie. Rien n'empêchait le vainqueur d'exécuter le perdant, et par la même; rien n'empêchait techniquement à un hollow plus avare de s'intégrer à la mascarade pour profiter du corps du vaincu.

Yharn était une bête ambitieuse, maligne, et avec des volontés trop importantes pour se laisser mourir dans un affrontement béat faussement amical. L'amitié n'avait pas sa place ici bas, ainsi si combat elle devait engager, elle le considérerait comme un combat à mort. Les enjeux étaient trop importants pour prendre le risque de s'affronter pour le simple plaisir du corps et de l'âme.

Il y avait toutefois selon elle une raison viable pour justifier un entraînement, et un combat non létal; l'instinct de domination. Au Hueco Mundo comme au coeur d'une meute, battre l'autre est parfois plus gratifiant et utile que de l'annihiler. C'est dans ce creux de défaite qu'on cultive la crainte, la convoitise, et l'envie, qui forgent depuis des siècles les suiveurs, nécessaires au plan des ambitieux.

La créature était consciente que si d'aventures elle survivait aux épreuves du Hueco Mundo, elle aurait besoin d'alliés. Et que parmi ces alliés, les plus fiables seraient les rivaux d'hier rapatriés sous la bannière commune. Ainsi, quand Klaus s'approcha d'elle pour la provoquer, elle ne broncha pas. En revanche, lorsque le combat fut initié par le premier coup de la créature de foudre, elle bondit un moment, envoyant immédiatement trois membres tentaculaires faire leurs offices.

Les trois membres, comme trois projectiles, fusaient en direction de Klaus, visant à perforer le corps malade de ce dernier. Un quatrième membre alla toutefois scruter l'opposé du champs de bataille offert, posant une première marque de Regreso quelques dizaines de mètres au delà de l'épicentre de l'arène.

Yharn ancra ses pattes au sol, assez solidement pour maintenir tout équilibre, puis laissa son poitrail de chairs et de poils s'ouvrir, fier et adroit. Le combat n'avait rien d'une passe d'armes, fallait-il encore que Klaus le comprenne avant que le plan ne se referme sur lui.

La frénésie et l'excitation que ressentait Klaus lors de ses affrontements avaient de quoi déstabiliser même les plus sereines et prédatrices créatures du Hueco Mundo. Les coups avaient beau être effectifs, il était parfaitement impossible de déceler la douleur ou la crainte. C'est cette raison qui avait poussé Yharn à en finir le plus rapidement possible, préférant un affrontement court et définitif à un long et éprouvant duel. Klaus en avait toutefois décidé autrement, et dans sa grandiloquence, il fit comprendre que ce combat ne serait ni simple, ni court.

La foudre, et plus particulièrement la douleur cinglante que celle-ci invoquait, ramena son esprit moribond dans le combat. Pour se libérer de l'électrocution, la bête laissa un de ses membres couper un léger bout de chair qui rendait le maléfice électrique possible. Un maigre sacrifice, car ces membres secondaires étaient plus des armes que de véritables atouts organiques nécessaires.

Sa force physique brute était moindre, alors elle accueillit le premier coup de son adversaire en l'amortissant de ses deux avant-bras. Elle fut repoussée sur quelques mètres, laissant intentionnellement les extrémités de sa queue griffer le sable pour rogner sa silhouette et la rendre moins détectable. Ahurie lors de la réception, elle secoua le chef puis entendit le bruit symbolique de la création d'un Cero. Les sens en alerte, la douleur naissante disparut pour laisser place à l'instinct de survie.

Son corps agit sans la confirmation de son cerveau. Aussi vite que ce dernier lui permit, elle signa une charge furibonde en direction de son vis-à-vis, fonçant droit vers le Cero encore en canalisation, trahie par le boucan qu'elle accentuait volontairement. Avant de passer le rideau de sable, le monstre signa un grand bond, puis activa la marque de son Regreso, parvenant quelques mètres derrière Klaus, en plein air, presque sans bruit.

Prenant de l'avance, avant que le Cero ne soit pleinement relâché, elle se réceptionna de deux " bras " sur le sommet du crâne de Klaus. Ce dernier fut alors solidement enfoui dans le sable ignifugé du désert, tandis que l'énergie du restant de Cero devait se déverser de plein fouet sur son envoyeur sous la forme d'une vicieuse explosion. Pour marquer la distance, après cet assaut, Yharn envoya un de ses tentacules marquer une zone du champs de bataille, ses deux bras rachitiques lui permettant de bondir et ainsi s'éloigner un peu du combat.

Elle réapparut ainsi face à Klaus, le laissant cerné par sa marque et par elle même. Toujours aucune flamme à l'horizon, elle gardait semble-t-il jalousement ses réserves de Reiatsu, jouant essentiellement sur la contre-attaque et la malice. Son corps trépignait, autant d'excitation que de méfiance. Se refusant d'être une cible facile, la créature s'agitait sans cesse, trahissant sa nervosité grandissante.

Son précédent assaut n'avait eut que la moitié de l'effet escompté. Certes il avait été fructueux et rentable de par son très faible coût en énergie, mais il avait considérablement énervé Klaus, qui renâclait maintenant avec ardeur. Il fallut quelques secondes à Yharn pour établir ce constat, secondes mortelles qu'elle avait passé à observer la relève de son adversaire.

La seconde d'après, la silhouette de celui qu'elle avait malmené était à ses côtés. Sa vision était pleinement obstrué par l'amas électrique, tant qu'il lui était impossible de poser les yeux sur autre chose que de la foudre. Si elle avait pu hausser les sourcils, elle l'aurait assurément fait. Toutefois, plutôt que de la surprise, elle exprima un grognement strident, rapidement étouffé par le violent qui coup signait son emprise sur elle.

Le monstre au sol se débattait autant que faire se peut, encaissant la douleur avec une difficulté rarement témoignée jusqu'à lors. La foudre s'infiltrait dans son corps décharné, imposant plusieurs brûlures, et laissant s'installer une odeur de carbonisé. Une fois n'est pas coutume, Yharn avait décidé de laisser parler sa colère, perdant son imperméabilité habituelle pour punir le sort et ses instruments.

La chaleur de l'assaut de Klaus fut rapidement enjoint par une chaleur moins diffuse, moins noble. La chaleur qui s'installait autour était juste horrifiante, plus dense, plus meurtrière. Le bleu fut étouffé par le rouge, et des méandres de foudre jaillirent des braises, qui en l'espace d'une seconde se formèrent en véritable brasier.

Une cheminée crématoire s'éleva alors à l'épicentre de la confrontation, pile là où se trouvait le corps tétanisé de Klaus et de Yharn. Les flammes rongèrent les alentours, leur chaleur contenue par l'entonnoir que les deux adjuchas avaient créés malgré eux dans le sable. Sans mesures, sans autres intentions que celles de la destruction, le feu comme une gangrène continuait d'affluer sous la forme d'une immense colonne, comme une zone de non-droit où aucune vie n'était autorisée.

D'une puissance proportionnelle à la douleur ressentie, la bête au gouffre béant laissait pleuvoir les enfers sur son assaillant, qui avait réussi en un temps record à éveiller chez elle ses instincts les plus retors. Son corps s'éleva d'un spasme navré, tandis que la colonne se dissipait, ne laissant qu'un grand nuage de fumée diffuse, portant à une extrémité la carcasse fumante et noircie de Yharn, et de l'autre Klaus, ou ce qu'il en resterait.

Ses membres filigranés encore saillants malgré la douleur, la bête sondait la fumée, essayant de taire sa présence et de recouvrer sa stabilité. Son attention ahurie était pleinement consacrée à la silhouette de Klaus, qu'elle espérait repérer dans l'unique but de la briser, encore et encore.

La bête cauchemardesque abritait de plus en plus de frustration dans sa carcasse chitineuse, déjà maculée à de trop nombreuses reprises par le sable, les cendres, et la douleur. Le rideau finissait par tomber, emportant avec lui l'invisibilité ambiante, et les potentiels doutes sur la fin de l'affrontement. Là où d'ordinaire elle se serait littéralement embrasée de colère jusqu'à réduire à néant sa cible, cette fois elle éprouvait un peu de retenue. Les piétinements incessants de Klaus avaient trahis sa position, et au cas où elle n'était pas assez évidente, voilà qu'il s'illuminait.

Elle avait plusieurs options, bien que son Regreso ne pouvait être activée immédiatement, et que l'illusion ne fonctionnerait pas sur la bête déchaînée lui faisant face. Elle se refusait également à l'esquive, autant par peur de tomber dans l'embuscade d'une attaque plus audacieuse que pour s'assurer de l'efficacité de sa résistance. Ainsi, plutôt que de se dérober, plutôt que d'ignorer l'assaut, et plutôt que de s'en substituer, Yharn ancra fermement sa position là où elle devait être, laissant des flammes orangées couvrir sa peau calcinée. Son manteau de flamme fit virevolter à la verticale des vagues de sables, galvanisées par la manipulation de l'air en découlant. La créature indiquait sa position, et cela ne pouvait qu'être interprété comme une invitation à tout donner.

La silhouette de Klaus fit fatalement son apparition, déchirant en deux l'espace, accompagnant sa ruée funèbre d'un cero naissant. De prîmes actes surprise par la vitesse de son vis-à-vis, elle se ressaisit bien vite, laissant son infernale protection gonfler un peu plus. Les flammes se superposaient à sa carcasse hérétique, comme des couches aussi pénibles à attaquer qu'elles étaient dures à percer. Si elles n'auraient pas l'audace de dévier complètement le coup, elles lui assureraient de l'encaisser a minima.

Nonobstant, c'est lors du moment fatidique de l'impact que la stupeur atteint son paroxysme. Le corps de Klaus perdit son éclat instantanément, l'assaut qu'il préparait retombant aussi sec. Un élan d'opportunisme vint agiter le corps de Yharn d'un spasme malade, le faisant déguerpir sur le côté tout en amalgamant les flammes qui la seconde passée lui servait de protection. Dans le feu de l'action, la créature n'eut le luxe de comprendre la position létale de Klaus, et laissa les flammes naguère défensives fondre sur l'Adjuchas, l'envoyant dans une déflagration torrentielle creuser un terrier à même une dune de sable. Le promontoire grisâtre était voué à devenir le tombeau de l'Adjuchas, ou en tout cas, il le deviendrait si le principal concerné ne saurait se montrer digne de survivre à ce Petit-Enfer.

Yharn et sa carapace fumante chutaient au sol la minute suivante, véritablement épuisée, et aux portes de l'inconscience. Cette même inconscience qui pourrait signer la mort des deux hollows, si un tiers opportunistes décidait de s'amener. Son crâne aberrant s'enquit de l'état de l'avatar de la foudre, dont il n'avait pu voir aucun signe de vie depuis l'ultime assaut. Une part d'elle était à deux doigts de prier. Prier pour que son adversaire n'ait déployé aucun subterfuge, et qu'il n'allait pas soudainement jaillir de quelque part pour l'assassiner. Dans pareil état, et en ayant concéder toute sa forcé défensive dans un genre d'exécution, il lui serait vraisemblablement impossible de répondre.

Partagée entre l'idée de fondre sur les restes de Klaus et le dévorer - si les flammes ne s'en seraient pas déjà chargées -, et considérer les avantages que cette courte victoire lui apporterait, la monstruosité ne savait que faire. Une poignée de secondes vint toutefois la décider. Elle s'approcha de la dune qui servait originellement de tombeau à l'Adjuchas " allié " puis se hissa à son sommet.

Autant pour récupérer elle-même que pour s'assurer que personne ne vienne récupérer illégitimement sa pitance, l'Adjuchas se mit à monter la garde. Sinon jusqu'au réveil de Klaus, au moins jusqu'à sa mort définitive. Elle ne l'achèverait pas aujourd'hui, trop curieuse de voir les fruits que donneraient les graines qu'ils venaient de planter. Et puis maintenant; elle avait des questions à lui poser. Son corps se mit en veille pendant quelques secondes, quelques minutes, quelques heures. Tout dépendrait du temps de convalescence de l'opposant. De tous les défauts que son âme pouvait avoir, l'impatience n'en était pas.

Difficile de savoir combien de temps Yharn avait veillé sur le corps de son semblable. Quelques heures peut-être. Des heures passées à réfléchir, à hésiter à l'achever et à se repaître de son corps, et à que faire de la situation si ce dernier reprenait confiance. Elle avait beau sortir gagnante de l'affrontement, elle couvait une certaine angoisse à l'idée d'être découverte par quelqu'un, ou encore à l'idée d'avoir éveillé les instincts meurtriers de Klaus.

Ceci étant dit, lorsque l'Adjuchas revint à lui, Yharn descendit de la dune sur laquelle elle s'était perchée. Glissant le long de la coulée de sable, elle vint se poser instinctivement à proximité du hollow meurtri, comme parvenant à son chevet. Le temps d'intérioriser une grimace à cette idée, elle prit parole. " Nous ? Si tu chutes face à un suiveur, alors c'est que tu n'es pas conquérant. "

Yharn ne s'était jamais considéré comme un meneur de troupe, ou un conquérant en l'occurrence. Au contraire, elle en cherchait désespérément un. " Avant de vouloir conquérir quoi que ce soit, domine toi toi-même et ton proche entourage. C'est car tu en es capable que je ne t'ai pas achevé, tu as plus à offrir. " Dans le langage barbare et acide du Hueco Mundo, c'était ce qui se rapprochait le plus possible d'un compliment.

Déambulant quelques mètres aux alentours, Yharn observait le terrain, ses instincts paranoïaques reprenant le dessus. " Comptes-tu rester allongé encore longtemps, ou vais-je devoir te porter ? " C'était bien là un léger trait de camaraderie, qui était plus motivé par la fatigue et l'originalité de la scène qu'autre chose, mais tout est bon à prendre dans de pareils moments.

Le combat s'était terminé, et sous les meilleurs auspices possibles. Aucun des deux Adjuchas n'avait été tué, et si ils étaient capables de s'épargner aux portes de la mort, alors rien ne les empêcherait de s'allier plus solidement lors du reste des événements que le désert allait leur imposer. Si au paroxysme de la prédation elle arrivait à dompter ses instincts, alors il ne lui restait qu'à fantasmer sur ce qui lui restait à acquérir.