Aujourd’hui, Eleonore était sur son trente-et-un. C’est dire, elle avait même pris le soin de prendre son fourreau le plus abouti, celui dont l’extrémité s’achève en un en une tête de lion, un motif qui était très populaire peu avant qu’elle n’ait prit la tête de l’atelier.

Si elle s’était aussi bien apprêtée, c’était juste pour pouvoir aller déposer un dossier, mais il fallait bien qu’elle soit présentable et prête à plaider. Après tout, le monde Shinigami était aussi un monde d’apparences autant que de paperasse. Sans nul doute, si elle arrivait telle qu’elle était d’habitude, elle serait envoyée à la onzième.

Même certains de ses clients ne lui avaient pas donné de lettre, certains par snobisme, d’autres par un manque de gratitude. De toute façon, elle n’attendait rien d’eux – même les lettres qu’elle avait reçu ne parlaient certainement que des services qu’elle leur avait rendus, rien de contraignant ou de vraiment tangible donc, le capitaine commandant ne se laisserait probablement jamais amadouer par ce genre de choses.

Elle naviguait tranquillement dans les bureaux, ne se préoccupant de rien qui se passait autour d’elle. Elle savait exactement ce qu’elle était venue faire ici, et elle n’allait pas se laisser distraire facilement.

Même si, une fois qu’elle avait déposé le dossier sur le bureau, une chose attirait son attention – le sabre de la personne qui se trouvait derrière avait une poigne très ferme, qui n’était probablement pas très équilibré. Un défaut qui n’avait aucun impact pour un Asauchi, le poids de l’arme étant extrêmement négligeable, mais qui était quand même caractéristique.

— Soit tu n’es pas un jeune Shinigami tout juste sorti de l’académie mais un rustre incapable de prendre soin de son matériel, soit un de mes  apprentis va devoir passer sa nuit à l’atelier.

Ce qui l'agaçait le plus, certainement, c'était le fourreau. Il était simpliste, et n'avait aucune qualité particulière, ce n'était pas le genre de choses qu'un porteur d'Asauchi devrait utiliser.

— Excuse-moi, j’aurais dû commencer par ça. Ton Asauchi, tu le tiens d’où, et le fourreau qui va avec, tu en as fait quoi ?

Il avait l’air d’être déjà un peu plus poli que ce à quoi elle se serait attendue, et il connaissait surtout les caractéristiques principales de l’Asauchi qu’il avait. Mais surtout, ce qui lui fit lever un sourcil, c’est quand il parlait de la régénération du fourreau. C’est quelque chose qui est connu, bien sûr, mais qui ne fonctionne que pour les Zanpakutos – même l’arme qui pendait à sa ceinture en ce moment, toute merveille technologique qu’elle soit, ne pouvait se régénérer qu’elle-même.

Tentative de se défendre ou vraie ignorance, elle n’aurait pas pu le dire, mais c’était une chose des plus curieuses. Déjà, le fait qu’il ait ramassé l’arme aurait dû indiquer que ce n’était pas un Zanpakuto, même si elle restait assez curieuse.

— Si vous regardiez à l’intérieur de la garde, vous perceriez le reste des secrets que la lame a à vous offrir.

A l’intérieur de cette lame, il y aurait très certainement la signature de leur clan, marque de leur loyauté et garantie de leur allégeance « Longue vie à l’Empereur », chacune de leur création étant fait en son nom.

— Nos armes ont l’avantage non-négligeables d’être beaucoup plus facile à démonter que des armes humaines.

Après tout, l’idée était que certaines de leurs armes changeaient parfois de propriétaires, et qu’il fallait donc pouvoir modifier la garde pour qu’elle puisse s’adapter à d’autres gens, et ce depuis la création du Gotei.

— Mais si tu as ramassé cette arme dans le Seireitei, c’est forcément l’une des nôtres. Je pense que tu le savais déjà, mais un Zanpakuto meurt avec son porteur, donc ce que tu possèdes là, c’est forcément un Asauchi.

Elle devait bien le dire ce sabre ne lui inspirait pas confiance. Ce n’était évidemment pas un Zanpakuto, son histoire l’avait confirmé, mais ce n’était pas un Asauchi non plus. C’était quelque chose de très étrange, en effet.

— Il y a un esprit.

C’était encore pire, donc. Il y avait un esprit dans cet Asauchi, qui était donc probablement un Zanpakuto. C’était… étrange, c’est sûr.

Le sabre ne portait plus la signature traditionnelle, celle des Kasumioji, la signature au nom de l’Empereur. C’était de plus en plus évident que c’était un sabre d’artisan, mais qu’il y avait quelque chose d’anormal. Le plus évident, c’était bien sûr la lueur du sabre. Il n’y avait rien de normal dans ce sabre.

Elle prit naturellement le temps, après l’étrange spasme musculaire de son interlocuteur, de réfléchir aux signatures qu’elle pouvait voir. Cette lame avait essayé de se fondre dans la masse, mais c’était un échec.

— Aucun Zanpakuto ne porte de signature, mais aucun Asauchi ne porterait deux signatures, ni une telle signature.

En disant cela, elle tournait son attention vers son propre sabre, et notamment l’intérieur de la garde, où elle avait pris grand soin de signer. 9029, c’était le nombre de cette lame, soit 9028 autres essais qui n’avaient pas aboutis à des stades plus ou moins avancés. Cette situation n’avait aucun sens, et elle ne pouvait pas s’empêcher de penser que l’arme de son interlocuteur se moquait d’elle.

— C’est une arme bien étrange, mais je suppose que ce n’est pas le pire. Merci de m’avoir apaisé, et désolé si je vous ai parue… A cran, je tiens à coeur chacune des lames sorties de ma forge.

Elle ne s’y connaissait pas en Zanpakuto, encore moins en esprits, et donc elle n’allait pas commencer à faire de théories. Évidemment, ce que son interlocuteur tenait dans sa main était son sabre et non plus une simple création, il fallait qu’elle sache le laisser partir.

— C’est au moins une bonne chose que vous soyez aussi respectueux de votre arme. Certains Shinigami ne prennent jamais la peine de vraiment la considérer telle qu’elle est, et se contentent de la voir comme un simple bout de métal.

Elle en profitait pour s’incliner, respirant un peu plus calmement et remettant sur son visage le bout de peau qui commençait à glisser autour de son œil très légèrement humide. La personne qui se trouvait devant elle avait évidemment une histoire à raconter – particulièrement maintenant qu’elle s’était détachée de ses mots et qu’elle le regardait plus clairement – donc il serait stupide pour elle de s’arrêter à son arme et de le juger pour ça.

— Une telle légende prouve à quel point les humains sont des incapables. Un élève doit se donner corps et âme pour dépasser son maître, c’est l’ordre des choses et c’est seulement de cette manière qu’il peut y avoir du progrès. Quand à son contenu…

Elle ne savait pas comment réagir. D’un côté, sa création était assoiffée de sang et risquait de la dévorer de l’intérieur, mais de l’autre, elle avait réussi à  venir à bout de ce problème en utilisant une âme…

— Disons que s’ils avaient les bons outils, ça ne serait pas impossible. Une arme qui se nourrit du sang de son porteur est même facile à créer, et une arme permettant de guérir ne doit pas être bien plus compliquée,

Que de telles armes soient ensuite utilisables par de simples humains était déjà une chose plus complexe, mais le principe des légendes est qu’elles pouvaient être ancrées dans la réalité du Seireitei, parfois.

— Même s’il serait probable que si de telles personnes avaient vraiment possédé un pouvoir aussi grand, ils auraient certainement eu le droit à un atelier.

En vérité, les choses étaient plus complexes que ça. Il était possible qu’ils avaient eu le droit à un atelier, mais si c’était le cas ils seraient aux côtés de l’Empereur, donc ce serait normal que personne n’ait entendu parler d’eux.

— Et il y a une différence entre des soldats qui se contentent de jeter leur vie sur le champ de bataille et qui négligent parfois de développer leurs compétences, et des sabres qui les protègent et pourraient potentiellement leur donner la puissance suffisante pour survivre, et ce même sans que ce soient des Zanpakuto.

Plus elle continuait à parler et plus elle se sentait mal à l’aise. Sa plus grande peur était qu’une de ses armes qui auraient dû être détruites se soit retrouvée sur terre.

— Mais à quand remonte cette légende, exactement ? Je doute qu’une telle rumeur puisse apparaître à l’époque moderne, mais tu as attiré mon attention.

Cela faisait plusieurs siècles qu’elle n’avait pas eu d’apprenti – presque un millénaire, en vérité – car personne ne lui semblait être à la hauteur, mais si cette légende était assez récente – si l’une des deux personnes étaient encore en vie – peut-être que son calvaire pourrait toucher à sa fin, et qu’elle pourrait enfin achever son chef d’oeuvre.